La Cour des Droits de l'Homme bénit l'interdiction du foulard (Titre en gras de la tribune de Genève du 30 juin 2004. L'utilisation des mots est laissée à l'intelligence d'interprétation des lecteurs de Saturne)
Indiscutables sont les convictions personnelles
des humains qui nous portent. Souvent, par politesse, peur, bêtise ou
fainéantise, ils nous interposent en paravent pudique pour ne pas se
laisser glisser sur le satin soyeux de l'échange de goûts avec
leurs prochains. Rapidement, ils nous remplacent par des murs toujours plus
hauts. Le parpaing et le fer à béton reviennent en force dans
les accessoires de mode.
En une génération, l'utilisation de la fourrure ou le port du
voile sont devenus les étendards de discours que le commun des mortels
peine à comprendre. Nous, étoffes, avons un total désintérêt
pour la mode, pourtant annonciatrice des grands changements. Rétrospectivement,
les humains pourraient se souvenir de la largeur et longueur des cravates
qui collaient parfaitement à l'état des marchés boursiers.
Plus le serre-col était large et long, plus les marchés flambaient
pour revenir à une ficelle discrète. Quelles que soient les
motivations du port du voile que se chargent d'analyser des spécialistes
plus qualifiés que nous qui ne sommes que la matière première,
la transpiration nous laissent des auréoles à l'arrière-goût
amer, celui déposé par la peur. On serait en droit de vitupérer
et de se demander pourquoi un palladium vieux de 7000 mille ans joue les rideaux
de fer et relègue toutes nos autres confections au second plan. Si
l'homme laisse aux créateurs de modes le soin de nous mélanger,
il faudra qu'ils acceptent le port du masque, la voilette ou la rouennerie
pour que, dans quelques années, la honte ne soit pas indélébile
et imprimé dans la fibre. Les marques d'appartenance à un groupe,
un clan ou une communauté fleurissent comme les misaines et brigantines
lors des régates. En haut d'un mât, nous permettons à
des voisins de se situer géographiquement. Sur le corps ou la tête,
les significations les plus abracadabrantes demandent une connaissance et
un savoir encyclopédique qui, malgré pléthore de publications,
n'ont toujours pas de lexique. Nous-même, parfois, sommes surprises
du message que l'homme tente de faire passer. Et il en va des signes comme
des mots. Leurs significations changent à chaque génération,
creusant des fossés qu'il leur faudra traverser aux cacatois, perroquets,
focs, et civadière pour atteindre l'autre rivage. Drapé dans
des principes auxquels ils tiennent comme à un vieux pull-over, comme
l'égalité des hommes et des femmes, des races et des droits,
ne devraient plus être remis sur l'ouvrage. Et pourtant. Le droit de
chacun à attendre de l'autre une réciprocité du respect
est toujours au lavage. Pour ce qui est de l'égalité des sexes,
le programme de séchage n'est même pas inventé. Convaincu
qu'ils utilisent la meilleure lessive, un voilage fin masque les taches. À
trop vouloir utiliser les programmes courts, il n'est pas étonnant
que certains nous mettent des grands coups de ciseaux pour qu'apparaissent
les peurs et les incohérences. Repriser une étoffe avec des
lois équivaut à souffler dans une bonnette quand le vent est
contraire. Et si l'histoire leur apprenait réellement quelque chose,
alors nous, mousseline, vichy, shirting où perse, de toutes origines
et de toutes coupes, placés entre les hommes, les pays ou les sexes,
ne serions pas les jalons annonciateurs des murs futurs. Pourtant, nous sommes
tellement plus fines et façonnables que le béton. Le coussin
n'est plus assez rembourré pour qu'ils ne sentent pas la structure.
La position est inconfortable et il faudra en changer, si, d'ici là,
les fils de soies ne les empêchent pas de se relever, sans quoi, c'est
à terre qu'ils rouleront dans ce qui risque fortement de devenir le
linceul pour notre dernière demeure.