Une femme accompagnée de son enfant de 13 mois invente et met en scène une agression de type raciste dans le métro. En moins de trois jours, en France, tout ce qui pense réagit avec la plus grande virulence pour dénoncer…


Hiver d'un fait divers

J'aurais tant aimé que ma joie, lors de la naissance de ma fille, se lise dans les journaux. Je pensais que, comme moi, tout le monde croirait à un monde meilleur, à des lendemains qui sentent la fleur de sureau. Je la tenais dans mes bras et j'étais certaine d'avoir accompli quelque chose d'irréversible, et même si les femmes accouchent depuis la nuit des temps, d'unique. Mais le monde est resté pareil à lui-même, avec son lot de bourreaux victimisés et de souffres-douleur tellement coupables.
Le monde vu au travers des yeux des journalistes rentrait sans permission dans mon quotidien. Tant d'horreurs, tout les jours, tout le temps. Pas le temps de connaître le verdict du procès d'un monstre, que trois autres défraient la chronique. Et pourtant dans les yeux de ma fille, même les nuits où je ne dors pas, le monde est beau. Il y a un dauphin rose dans sa balle magique. J'ai regardé durant une année le monde par les yeux de ma fille. Je n'y ai trouvé qu'émerveillement, attente et espoir. J'aurais aimé alors que mes proches regardent par les yeux de ma fille et voient comme le monde est beau. Mais plus je le leur demandais, plus ils souriaient, gentiment, presque avec compassion. Je leur ai dit que le monde n'était pas comme celui que relatait l'information, j'ai essayé de leur faire voir comme une balle peut être ronde quelle que soit la manière dont on la tient, dont on la touche. Dans le meilleur des cas j'ai eu droit à une caresse dans les cheveux. Pour les amis de mon mari qui n'ont pas d'enfants, cela me passerait avant que cela ne les prenne. Ils n'ont pas voulu entendre, voir, comprendre. Ils ne m'ont pas cru.
Un matin, je me suis demandée si ce n'était pas moi qui ne voyais pas. Qui n'était pas capable de voir le monde tel qu'on me le décrit et j'ai eu peur. J'ai paniqué immédiatement à l'idée que, si je ne voyais pas le monde tel qu'il était, je ne saurais protéger ma fille. Alors j'ai essayé de voir ce monde. J'ai été dans les endroits où le monde s'écrit. Mais je n'ai rien vu. Ou plutôt à chaque fois que cela s'approchait un tant soit peut du monde des médias, je voyais une autre chose, douce, jolie et malgré tout, belle. Et j'ai continué à le dire à l'homme que j'aime, à nos amis. La seule réponse que j'ai obtenue fut que les soirées se terminaient moins tard. Mon mari me faisait l'amour et s'endormait en me disant qu'à ces moments, à ces moments seulement, le monde était comme une balle magique, ronde et pleine de paillette.
Quand je lui ai annoncé que j'avais vécu ce qui était écrit, il m'a accompagné malgré lui au commissariat de police pour porter plainte. Il est venu presque à reculons, s'excusant de ma présence auprès des policiers à chaque fois que je faisais une phrase. Durant deux jours, il m'a regardée avec tristesse. Comme si le fait que je lui donnais raison le décevait. C'est à partir de ce moment que j'ai vu mon monde entrer chez moi, imprimé sur le papier. Il est entré de partout. Le téléphone ne cessait de sonner et tout le monde voulait que je leur fasse part de ce que mes yeux avaient vu, surtout ceux qui ne voulaient pas voir les paillettes dans la balle magique de ma fille. Durant trois jours, ça a été vrai. Durant un court laps de temps, ce que je disais était ce que le monde était. Une fois, peu de temps. Quand j'ai essayé de leur montrer la balle magique, ils se sont tapé la main sur la tête et ont tourné les yeux. Encore une fois, et fâchés ils ont refusé de regarder le monde par les yeux de ma fille.