Genève: Roger Beer suspendu de ses fonctions au Conservatoire et jardin botanique.


Qui plante un chêne récolte des glands

Des petits, des nains, ils ne sont rien. Je plante des chênes, ils ne sont que des glands. Genève pue, je la couvre de fleurs comme une vieille chanteuse en fin de gloire, qui sent sa fin, proche, et pour qui les fleurs sont la dernière marque d'affection.
Mon devoir était de fleurir Genève et je l'ai fait comme un amant empressé, fougueux et amoureux. Pas une réunion, pas une manifestation, pas un concert sans des bouquets, de la couleur et des senteurs partout. Au Victoria Hall, des flagrances de muguet et de chèvrefeuille en lieu et place des odeurs de transpiration. Chez les amis qui les ont reçues, mes filles se montrent, elles sentent, elles embellissent les réunions du parti radical ou des Vieux grenadiers plutôt que de s'éteindre sans gloire dans les serres de la ville, cachées et anonymes. Les politiciens sont toujours meilleurs avec un chat sur les genoux, le nez dans un massif de fleurs. Je voulais des couleurs partout, des glaïeuls et des pétunias, des bouquets par milliers et pas seulement au bout du pont du Mont-blanc pour donner l'heure à des touristes tristes qui emporteront une image de Genève d'avant-hier.
Mais, en dessous, il y a les mesquins, ceux qui ne font que compter les bouquets et qui savent que 1407 créations ont fait carrière et ont embelli la ville plutôt que de mourir dans l'indifférence générale des contribuables. Et ça les fait couiner.
Alors, lorsque l'on me demandait des fleurs je fournissais. Dans mes rêves les plus fous, je voyais toutes les femmes de cette ville couverte de fleurs 365 jours par ans. Mais les nains se rebiffent, s'expriment et portent le verbe haut. Comme ils ne comprennent rien à la nécessité de mettre des couleurs et des odeurs partout, ils me parlent de chênes achetés 188'000 Frs alors qu'eux auraient planté des glands pour 50'000 Frs. Je les voulais drus, grands, forts, déjà porteur de l'image de l'avenir, de demain. Du haut de leurs trois mètres, ils font immédiatement un peu d'ombre à mes fleurs et le contribuable, reconnaissant, voit l'utilité de ses impôts. Les femmes de Genève se protègent du soleil, à l'ombre d'un arbre, symbole de force et de grandeur. Les grognons des finances auraient mis des glands, invisibles, petits, seuls dans le pré, pour que les générations à venir ne croient en rien et surtout pas en leur futur. Moi je voulais un arbre, adulte, dur, solide et majestueux, comme ma croyance dans l'avenir de ma ville, sans quoi j'aurais mis des peupliers, car ils plient à la première brise.
Il n'y a pas eu d'appel d'offre, la belle affaire. N'importe qui peut proposer des arbres en graine, mais, seul un pépiniériste avait des arbres debout. Preuve de sa croyance en des lendemains qui chantent, son courage devait être payé le juste prix, quitte à utiliser l'argent de demain.
Mis sur le banc de touche, je les regarderai mettre du lierre en plastique le long des scènes pour écouter, sans états d'âme, mourir les derniers accords d'une symphonie de Mahler jouée par un orchestre qui n'a plus comme qualité que le registre des cordes créé par Ansermet.